Organisation coutumière kanak
L'organisation sociale
La société kanak est structurée autour d’une organisation coutumière propre. Le clan est la base de cette organisation. Les clans se réunissent en tribus, au sein de districts coutumiers, eux-mêmes regroupés en aires coutumières (cf. infra).
La coutume constitue le fondement du lien social mélanésien. Elle désigne à la fois le code oral qui régit la société kanak (ensemble de règles, de pratiques et de rituels), l’art de vivre mélanésien dans son ensemble et le geste de l’échange coutumier (échange de paroles et de dons). La coutume régit également le statut civil coutumier (cf. infra).
L’Accord de Nouméa a reconnu le rôle important qu’elle joue pour les populations régies par les règles coutumières. Les instances coutumières sont revêtues de son autorité. A ce titre, l’Accord prévoit des dispositions particulières en ce qui concerne notamment :
- Les structures coutumières
- Le statut coutumier
- Les terres coutumières
- Les langues kanak.
Les structures coutumières
Le clan est un groupe de familles qui se rattachent à un ancêtre fondateur d’un site à partir duquel les membres du clan se sont dispersés selon un itinéraire précis. Le clan est une unité patrilinéaire. Il se subdivise en lignages. Entre les clans s’est constitué tout un réseau d’échanges et d’alliances, allant de l’échange de nourriture aux alliances matrimoniales. Lors d’un mariage, la femme est nécessairement d’un autre clan.
Le conseil du clan, partie intégrante du système social coutumier, règle les affaires intéressant les biens du clan. Il est consulté notamment en matière de dévolution successorale, d’adoption… Les décisions des autorités coutumières sont transcrites dans un acte coutumier, à la suite d’un palabre. Elles peuvent faire l’objet d’un recours auprès du conseil coutumier de l’aire concernée. Les officiers publics coutumiers, chargés de transcrire ces décisions en actes, depuis 2007, doivent aussi recevoir et conserver dans un registre les actes coutumiers, et en délivrer des copies ou des extraits si le détenteur de l’original a donné son accord. Ils peuvent exercer les fonctions d’huissier de justice dans les communes où aucun huissier n’a été institué.
Le statut civil coutumier
En matière de droit civil, selon l’article 75 de la Constitution, les personnes relevant du statut civil coutumier kanak sont régies par leur coutume (état civil, mariage, filiation, successions…), sauf si elles y renoncent. Elles passent alors sous statut civil de droit commun. Deux états civils sont ainsi en vigueur en Nouvelle-Calédonie, un de droit commun et un de statut civil particulier.
Institué par un arrêté du 21 juin 1934, le statut civil coutumier est régi par une délibération du 3 avril 1967, complétée par la loi organique du 19 mars 1999. Le statut civil est défini à la fois par les personnes auxquelles il s’applique et par les domaines qu’il recouvre. Officiers d’état-civil, les maires tiennent le registre d’état-civil coutumier. L’identité des citoyens de statut civil coutumier comprend le nom de famille, le ou les prénoms chrétiens et le nom individuel ou prénom mélanésien. Ce dernier présente une importance particulière en droit coutumier, notamment par rapport aux droits fonciers au sein du clan.
L'organisation spatiale
La tribu est la reconnaissance administrative de l’organisation mélanésienne. L’arrêté du 24 décembre 1867 lui donne son existence légale. L’arrêté de 1898, s’il confirmait par son article 21 l’existence légale et l’autonomie de la tribu, modifiait sensiblement la morphologie de l’organisation kanak. Selon l’article 19, “le territoire de la Nouvelle-Calédonie et de ses dépendances est divisé en districts indigènes. Chaque district est divisé en tribus et est soumis à l’autorité d’un grand chef qui est nommé par le gouverneur”. Petit à petit, cependant, l’administration est de moins en moins intervenue dans la désignation des autorités coutumières et une désignation des chefs plus en rapport avec la coutume s’est mise en place. L’administration n’a alors fait que constater la désignation d’une autorité coutumière.
La loi référendaire du 9 novembre 1988 (issue des Accords de Matignon – Oudinot) découpe le territoire de la Nouvelle Calédonie en huit aires coutumières. Il s’agit de subdivisions spéciales et parallèles aux subdivisions administratives. Leur fonctionnement est défini par la loi organique n°99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie.
Aires coutumières
Chaque aire est représentée par un conseil coutumier, consultatif. Il est compétent pour les affaires de droit privé liées au statut civil coutumier, les terres coutumières et les questions relatives aux langues et à la culture kanak.
Les terres coutumières
Après la prise de possession de l’archipel en 1853, l’Etat se proclame propriétaire de toutes les terres. L’arrêté du 22 janvier 1868 laisse une partie de ces terres aux Kanak. Mais à partir de 1897, le gouvernement français mène une politique de cantonnement, visant à rassembler tous les Kanak dans des réserves, remettant en cause le découpage de 1868. Seules les Îles Loyauté sont des réserves kanak intégrales.
La politique de l’Etat va évoluer avec le développement des revendications foncières. Depuis 1978, un vaste programme de réforme foncière a été engagé, d’abord directement par le territoire, puis, de 1982 à 1986, par l’Office Foncier, établissement public d’Etat. Depuis 1986, l’ADRAF poursuit la politique d’acquisition des terres pour un développement du foncier coutumier. Elle intervient également pour aménager les terres coutumières, à la demande des groupements de droit particulier local (GDPL) et des élus locaux. Certains GDPL sont créés pour mener une activité économique, d’autres pour devenir propriétaires fonciers dans le cadre de la réforme foncière. Leurs membres peuvent décider de s’y établir, de l’exploiter, ou de le mettre à disposition de personnes extérieures qui souhaiteraient y réaliser un projet.
Les terres coutumières sont constituées des réserves autochtones, des terres attribuées aux GDPL et des terres attribuées par les collectivités territoriales ou les établissements publics fonciers au titre du lien à la terre. La loi organique réaffirme fortement le lien kanak à la terre et précise, dans son article 18, que les terres coutumières sont inaliénables, incessibles, incommutables et insaisissables.
En 2019, plus d’un Calédonien sur cinq réside sur terres coutumières
Plus de 60 000 personnes vivent sur terres coutumières en 2019, que ce soit sur une terre de réserve affectée à une tribu, sur le foncier d’un clan ou sur une terre rétrocédée par l’Adraf à un GDPL (voir encadré). Dans cette publication, l’expression « population vivant en tribu » désigne l’ensemble des personnes ayant déclaré vivre sur terres coutumières. Celles-ci représentent un Kanak sur deux et plus d’un Calédonien sur cinq.
En trente ans, depuis les accords de Matignon et la provincialisation, la population sur terres coutumières s’est développée trois fois moins vite que dans les zones urbaines ou rurales. Ainsi, le poids des tribus a diminué de 29 % à 22 %. En 2019, la moitié des Kanak vit en tribu contre 62 % en 1989. Les jeunes Kanak, en particulier les femmes diplômées, rejoignent de plus en plus les zones urbaines. Les deux tiers de la population en brousse habitent sur terres coutumières. Les plus grandes tribus concentrent plus de 500 habitants.
Bien que le niveau de diplômes se soit élevé, l’emploi des personnes vivant en tribu a beaucoup moins progressé qu’ailleurs. En 2019, le taux d’emploi n’atteint que 42 % contre 65 % hors tribu. Cependant, l’économie est de moins en moins traditionnelle, beaucoup de Kanak conciliant désormais la vie en tribu avec un travail à proximité. Un quart des ménages n’a pas accès au confort élémentaire, en particulier ceux vivant dans les tribus les plus éloignées des bassins d’emploi. Les résidences secondaires sont trois fois plus nombreuses en tribu qu’ailleurs. Quatre Kanak sur cinq parlent au moins une des 29 langues vernaculaires.
Les tribus en Nouvelle-Calédonie (2019)Document
Les langues kanak
La Nouvelle-Calédonie est marquée par une importante diversité linguistique puisque l’archipel compte 28 langues vernaculaires, 11 dialectes et un créole (le tayo). Les langues kanakes sont beaucoup moins diverses par leurs traits grammaticaux que par le système de sons qu’elles utilisent pour former les mots et les différencier. Elles dérivent d’une seule langue mère qui s’est diversifiée sur place au cours de plusieurs millénaires pendant lesquels les influences externes et les migrations n’ont que peu contribué à leur différentiation.
À une époque plus récente, elles ont toutes intégré des apports lexicaux étrangers. Ainsi, par exemple, l’empreinte de l’anglais est manifeste aux îles Loyauté, principalement parce que les missionnaires anglophones y ont précédé les Français. On dénombre huit aires linguistiques, localisées sur des zones restreintes, qui s’étendent de part et d’autre de l’axe de la Grande Terre. Si certaines langues ont pu, dès le début de l’évangélisation, être dotées d’une écriture diffusée et fixée par la traduction de la Bible ou d’autres écrits religieux, la plupart des langues kanak sont restées pendant longtemps sans code écrit. Certaines (comme le sîshëë dans la région de Moindou) sont aujourd’hui fortement menacées de disparition, faute de locuteurs.
L’Accord de Nouméa accorde aux langues kanak une place centrale : la loi organique les reconnaît comme “langues d’enseignement et de culture”, avec le français. Elle prévoyait également la création d’une Académie des Langues Kanak, mise en place en 2007.
Plusieurs de ces langues font aujourd’hui l’objet d’un enseignement. Dans les lycées et les collèges, l’enseignement de quatre langues régionales kanak est officiel. Ces langues ont été introduites dans les épreuves orales et écrites du baccalauréat. Dans les établissements du premier degré public, les langues kanak sont intégrées dans les programmes scolaires depuis 2005. Depuis 2016, le projet éducatif calédonien prévoit qu’un enseignement des éléments fondamentaux de la culture kanak soit obligatoirement donné à chaque élève et qu’une offre d’enseignement en langues kanak soit proposée dans chaque établissement.
